Moins d’une année après que l’Algérie ait recouvert son indépendance, le Ministère des Habous, confié à Ahmed Tewfik el Madani, lance une revue dont l’objectif est de combler le vide culturel et scientifique que connaissait le pays et le combler par une culture et un savoir proprement musulman.
Dans le premier numéro de la revue, qui comptait également un mot du Président de la République, M. Ahmed Benbella, il y avait un éditorial fort de M. Ahmed Tewfik el Madani dans lequel ce dernier expose les objectifs de la revue non sans en rappeler le fondement idéologique, celui du peuple Algérien depuis que l’Islam s’est bien enraciné dans les cœurs de ses membres.
Vous voilà une traduction aussi fidèle que possible que j’ai jugé utile de faire pour qu’un public non arabophone puisse en bénéficier d’autant que l’article explique clairement les fondements doctrinaux de l’Algérie indépendante, extrapolation des fondements doctrinaux de l’Algérie combattante qui a balayé –par l’aide de Dieu- le colonialisme français.
Un mot bien placé
Par le frère Ahmed Tewfik el Madani
Ministre des Habous
Nous avons unifié nos rangs, fixé nos objectifs, dessiné notre chemin ; nous nous sommes lancés dans une campagne d’édification, sous l’œil bienveillant de l’arabité, une campagne nourrie par la foi, pour réaliser à ce peuple héros et titan, les hauts objectifs pour lesquels il s’est révolté, pour lesquels il a souffert, pour lesquels il a versé le sang en abondance et dépensé les vies sans compter.
Nous avons gagné la partie et « il est du devoir de Ton seigneur de donner la victoire aux croyants. » (Coran, 30 :47)
Nous avons été victorieux et notre victoire fut grandiose, autant que nos sacrifices furent terribles ; nous sommes sortis du jihad qui consistait à chasser l’ennemi spoliateur et occupant au grand jihad, celui de l’édification, de la formation, de l’urbanisation, le jihad des pulsions. Nous sommes sortis, pour ainsi dire, de la grande guerre de libération à la grande révolution de libération ; soyons alors des héros dans notre révolution comme nous avons été des héros dans notre guerre de libération.
[Il faut savoir que] les causes et les moyens qui nous ont facilité le chemin de la victoire, dans notre guerre de libération, sont les mêmes causes et les mêmes moyens à même de nous faciliter le chemin de la victoire dans notre révolution de libération :
- l’union sacrée qui a fait du peuple tout entier un même et un seul homme,
- la foi en Dieu et à la patrie,
- la foi au devenir de la communauté,
- la résignation ferme qui ne saurait être vaincue,
- l’humilité totale,
- le sacrifice exemplaire qui fait que l’individu se confond à la communauté et la communauté se confond à l’individu,
- l’endurance hors pair à l’encontre de toutes les formes de souffrance, de privation, et même de torture, d’actes barbares de de mutilation en vue de faire peur, des massacres sauvages comme l’histoire n’en a jamais conté, ni chez les premiers, ni chez les derniers,
- le labeur continu, jour et nuit, avec courage, dureté et conviction,
- un élan révolutionnaire général que rien ne peut entraver et qui nous fait voir nos objectifs et non finalités suprêmes telles des réalités que l’on peut voir et même toucher des mains,
- Une solidarité militante aux liens serrés, qui unit l’homme, la femme, le vieillard et l’enfant et qui en fait sortir un homme parfait capable d’arracher la vie des mains de la mort, de combattre les épreuves et les hécatombes, de défier toutes les forces du mal unies et résignées jusqu’à les battre, les détruire et leur dicter sa volonté ; les voilà soumises, humiliées, écoutant et obéissant. Le monde témoignera alors à cet homme qu’il est au-dessus des hommes, un titan comme le temps n’en n’a pas fait.
Il nous faut avoir la conviction que l’ennemi que nous combattons aujourd’hui est peut-être plus fort et plus accablant que l’ennemi d’hier ; c’est en fait un ensemble de choses et de résidus hérités du passé colonial.
C’est la pauvreté terrible, le chômage douloureux, les forces anéanties, le vide industriel, la faiblesse économique, la régression morale, l’éloignement quelque peu de l’enseignement de notre religion, des belles mœurs de notre Coran, de la conduite de nos devanciers et de la gloire de nos ancêtres.
Militons alors pour combattre l’ennemi d’aujourd’hui autant et même plus que nous avons milité pour combattre l’ennemi d’hier.
Ceux qui ont détruit les citadelles du colonialisme dans une épopée historique et éternelle édifieront sur ses ruines le socle bien solide de l’indépendance, au-dessus duquel flottera le drapeau de la chère liberté. Nous lèverons –et nous sommes déjà en train de lever- les fondements de notre nouvelle société sur les bases d’un socialisme juste et honorable, où il n’y a de mot que le mot du peuple, où il n’y a de décision que la décision du peuple et où il n’y a d’intérêt que l’intérêt du peuple.
La terre reviendra par divers chemins nationaux, dans tout le pays, aux mains du peuple, avec l’argent du peuple, pour le bien du peuple. Dans tous les coins du pays vont être édifiés les écoles nationales arabes bénéfiques, les mosquées vivantes, éducatrices et bienveillantes, les cercles-guides sociaux utiles.
Les chances seront équitables et chacun aura selon ses besoins. Aucun groupe privilégié ne vivra au-dessus du niveau général et aucun autre, désavantagé, ne vivra en dessous. Ce sont là les fondements de notre révolution, les bases de notre front de libération, les grandes lignes de la politique de notre gouvernement et la volonté de notre assemblée constituante.
Cependant, nous n’oublions pas et nous ne devons pas oublier, dans notre élan d’édification et d’urbanisation, que nous sommes, en sus de notre foi nationale bien ancrée et de notre conviction nationale authentique, un peuple arabe. Nous sommes une partie inséparable de la grande nation arabe authentique qui est convoyée dans un élan révolutionnaire juste vers la reconquête de notre prestigieux passé, dans tous les domaines de la vie, fussent-ils politiques, culturels, sociaux ou économiques.
Chaque victoire arabe dans quelque domaine que ce soit est une victoire pour tous les arabes dans tout le monde arabe.
L’arabité est notre mère, l’immense monde arabe est notre monde, le destin arabe est notre destin. Malgré cela, nous sommes –dans ce contexte arabe- des maghrébins. Nous sommes une partie intégrante de notre Maghreb commun, tissé par les liens du sang, de l’âme, du sentiment, de la compassion, de l’intérêt et de la terre. Il n’y a de vie, d’élévation ni de prospérité pour une quelconque de nos parties collées que s’il y a vie, élévation et prospérité des autres parties. Nous n’avons jamais vu dans la nature un corps dont une partie se développe et le reste ne se développe pas sinon les corps malades. Et notre Maghreb n’est nullement malade et n’est nullement différent des autres parties de la terre.
Ajoutez à cela que nous sommes –par la grâce de Dieu- des musulmans, des croyants. Les vertus du Coran sont nôtres, les mœurs de l’islam sont nos mœurs, les enseignements de notre auguste prophète sont notre code de conduite, la vie de nos pieux prédécesseurs est notre modèle, la philosophie de l’islam éternel est la lumière qui illumine notre vie.
Nous avons la conviction dans notre révolution que l’islam éternel, qui unit directement l’homme à son Créateur, est notre capital ; c’est lui qui nous a protégé, qui a maintenu vive dans nos cœurs la flamme et l’ardeur de la foi ; c’est lui qui a unifié nos cœurs et nous a convoyé vers la raison, dans nos moments difficiles et dans nos moments de faste ; c’est la pierre incassable sur laquelle se sont effondrées toutes les vagues de colonisateurs, les intrigues des traitres, les maléfices des hypocrites, les tromperies des menteurs. Nous avons vu les époques passer les unes après les autres, nous avons goûté de la vie son miel et son goût amer, nous nous sommes élevés atteignant les sommets et nous nous sommes rabaissés – avec honneur- pour atteindre les bas-fonds. Néanmoins nous voilà revenus –par la grâce de Dieu – à notre première conduite. A chaque époque, nous étions et nous le sommes encore et le seront toujours –par la grâce de Dieu- d’entre les meilleurs musulmans, d’entre ceux qui ont la foi la plus intense, d’entre ceux qui œuvrent à la revivification de l’islam et à la vie par l’islam.
Il n’est pas étrange, dès lors, que la constitution de notre révolution dans la charte nationale qui nous a organisé au sein de front de libération un article qui stipule clairement que jamais il n’y aura dans l’Algérie indépendante une chose contraire à l’enseignement de l’islam.
L’islam éternel est une révolution continue, englobant tous les éléments de l’élan révolutionnaire constructif valable à chaque lieu et à chaque époque. C’est une religion de mouvement continu, non une religion de stagnation, une religion de progrès, non une religion de conservation, une religion de libération et de grand départ, non une religion de chaînes et de fixations. Tout cela en plus de la force spirituelle la plus élevée que le monde ait jamais vue et les caractères les plus nobles, joignant science et action, concordant matière et esprit, joignant la vie d’ici-bas à celle de l’au-delà, assurant bonheur, justice sociale pour l’individu et la communauté. Ce patrimoine islamique énorme, cette sagesse islamique qui conduit par la main tout le peuple au plus loin point que peut atteindre une société humaine sur terre, c’est ce pour quoi le Ministère des Habous (biens de main-morte) de la République Algérienne a été créé afin de le revivifier, de le préserver, de le répandre dans tous les milieux.
Cependant, pour atteindre cette fin, ledit ministère a pour moyens :
– l’édification des mosquées, leur épuration des erreurs du passé et leur remplissage par les cours d’orientation bénéfiques ;
– l’enseignement religieux authentique, dans des écoles de niveaux différents, allant du primaire aux études supérieures, des écoles où la religion et la science s’associent ; des écoles qui forment des générations d’enfants de l’Algérie qui relieront la passé au présent et prépareront les conditions nécessaires à l’avenir ; des générations qui regrouperont approfondissement dans la connaissance des particularités de la religion et de ses fondements et approfondissement dans la connaissance des sciences modernes et leurs découvertes.
Cette revue, dont le Ministère des Habous a l’honneur de présenter le premier numéro aux masses du peuple arabe et musulman en Algérie, sera –par l’aide de Dieu- une ligue spirituelle puissante unissant diverses personnes qui croient fermement que la sagesse de Dieu est la [seule] sagesse.
Cette revue va publier orientations bénéfiques, études profondes, recherches dans les domaines religieux, scientifiques, littéraires, politiques, historiques et économiques, tout cela dans une coordination islamique bien claire, un objectif d’orientation honnête.
C’est là le but du Ministère des Habous ; C’est là le but de sa revue ; Nous espérons -et prions Dieu que nos espérances se réalisent- que cette revue puisse combler un vide dans notre édifice national et un manque palpable dans notre société. Nous espérons qu’elle devienne l’ami inséparable de l’homme et de la femme, du maître et de l’apprenant, de l’imam de la mosquée et du maître d’école, afin d’aider à répandre un concentré de culture générale dont ne peut se passer aucune société dans le monde moderne et dans un cadre islamique clair.
J’espère aussi que nos oulémas et nos lettrés accourent à cette jeune revue pour la pourvoir en recherche constructives, en avis positifs, en littérature raffinée, en poésie éloquente. Les portes de la revue sont ouvertes à tous et elle acceptera tout ce qui est valeureux et cher.
[Je dis à tous] En avant, au travail constructif et bénéfique, à la grande renaissance qui nous élèvera aux plus hauts rangs.
Vie éternelle à l’Algérie ! Eternité à l’arabité ! Gloire éternelle à l’Islam !